Chronique d’impact social | Le paradigme du don

Par David Caron | pdg du Groupe Probex
Le paradigme du don
Le don prend son sens dans l’intention et le désir de contribuer à la réponse à un besoin. Un besoin matériel, fonctionnel, relationnel. En ce sens, il est important de bien comprendre le besoin et sa véritable origine. Cela peut paraitre un peu contre-intuitif, mais mon expérience de vie m’a appris que, malgré les meilleures intentions, toute aide offerte n’est pas nécessairement bonne pour la personne et appropriée pour la situation.
L’un des indicateurs de discernement pour déterminer les bienfaits projetés de notre don est d’y intégrer la perspective du temps. Avant de donner, il est important de reporter dans le temps l’impact de notre don, de notre contribution.

Comme dans plusieurs situations, notre compréhension du besoin peut parfois être perçue et définie comme la portion apparente de l’iceberg hors de l’eau. C’est à dire, ce qui est le plus manifeste et le plus criant. Cela peut signifier de répondre au besoin immédiat de se nourrir, de se vêtir, de se loger, de se sécuriser, etc.
La perspective du temps appelle aussi la notion des cycles de vie, des cycles du besoin. Lorsque l’on donne, il est bon de prendre conscience de la durée pendant laquelle la réponse au besoin aura un impact significatif sur la personne.
C’est en grande partie ce qui détermine le paradigme dans lequel s’inscrit notre don. L’image qui évoque bien les deux représentations possibles est celle « d’offrir du poisson » à une personne ou « de lui apprendre à pêcher ».
Il importe de préciser qu’il n’y a pas un paradigme qui soit meilleur ou plus noble que l’autre. Toutefois, la réflexion proposée vise à éveiller en nous le réflexe de déterminer à quel paradigme s’identifie notre don. À quel fonctionnement il contribue.
« Offrir du poisson! »

En cette période de l’année, de nombreuses activités sont organisées afin de favoriser la collecte de fonds, de denrées et de jouets dans le but de permettre à un maximum de personnes de pouvoir bénéficier d’un soutien ponctuel durant le temps de Fêtes. Ce geste de générosité peut faire une grande différence dans la qualité de vie des gens pendant ces jours où le risque d’isolement est plus élevé et les ressources sont plus limitées.
Ce mouvement de solidarité est d’autant plus important puisque la grande majorité d’entre nous n’est pas à l’abri de connaitre un épisode de vie marquée par une plus grande vulnérabilité, que ce soit au niveau de notre santé physique, psychologique ou financière. Parfois, un seul événement peut venir déstabiliser l’équilibre établi dans la vie d’une personne et d’une famille.
C’est donc précisément pour répondre aux besoins qui ne pouvaient pas nécessairement être anticipés et qui se déclarent à partir de circonstances externes qui n’appartiennent pas au pouvoir de décision de la personne, qu’il est nécessaire de soutenir des organismes dont la mission est caractérisée par le paradigme d’une réponse immédiate et court terme au besoin.
Les résultats de ce type de don se mesurent rapidement par un calcul de quantité de personnes, de temps, d’objets, de poids, d’argent, etc. Ainsi, au même titre que le travail du dentiste qui arrache une dent douloureuse, ce type de don relève d’une intervention précise.
Enfin, il n’est pas rare de revoir des personnes ayant bénéficié de soutien lors d’un épisode de vie plus difficile revenir vers l’organisme, mais cette fois, dans un rôle de donateur!
« Apprendre à pêcher! »

Dès le départ, en faisant le choix d’orienter notre don vers le paradigme « d’apprendre à pêcher », nous devons être conscients que l’impact de notre contribution sera échelonné dans le temps. Cela signifie que la mesure de cet impact ne sera pas immédiate et qu’elle ne se rapportera pas à un seul indicateur facilement quantifiable.
C’est d’ailleurs ce qui fait que l’attractivité pour ce type de don est parfois plus exigeante. Nous sommes conditionnés dans toutes les sphères de notre vie à recevoir dès que l’on donne. Bien qu’il puisse parfois y avoir quelques jours de délai sur notre commande en ligne, la perspective du temps demeure courte avant que nous puissions bénéficier de notre investissement.
Une autre dimension importante de ce paradigme, c’est que nous devons accepter le lâcher-prise sur la notion du temps, inhérent au fait que n’avons pas ou peu de contrôle sur le rythme d’apprentissage et du développement des capacités de la personne.
Le premier paradigme étant reconnu comme une intervention, « apprendre à pêcher » correspond davantage à une vision de prévention. Ainsi, là aussi, nous ajoutons un autre niveau de difficulté dans l’attractivité du don. Cette difficulté se trouve précisément dans la capacité à démontrer la pertinence du don et son efficacité. Quelle garantie ai-je que mon don aura une contribution réelle et significative? Qu’est-ce qui me dit que la réponse aux besoins de cette personne ne pourrait pas être prodiguée autrement? À moindre coût?
Contrairement aux besoins représentés par la pointe de l’iceberg, les besoins se situant dans la partie submergée se sont généralement construits à partir de carences, d’échecs et de négligences répétés tout au long de la vie de la personne.
Il est donc inévitable d’accepter de collaborer avec la perspective du temps afin d’offrir un contrepoids aux blessures et à la programmation non productive des habitudes intégrées de la personne.
L’importance de l’équilibre

Comme je le mentionne précédemment, il n’y a pas un paradigme du don qui doit l’emporter sur l’autre. Toutefois, il m’apparait important que nous ayons, collectivement, la conscience et la vigilance de maintenir un équilibre dans nos stratégies philanthropiques.
À mes yeux, la recherche de cet équilibre ne doit pas se faire à partir de l’image d’une balance, mais plutôt de celle de l’iceberg présenté dans cette réflexion. C’est-à-dire en étant conscient de tous les besoins « silencieux » et non visibles qui sont à risque de se présenter à tout moment.
Il ne suffit que de constater à quelle vitesse les statistiques des besoins des organismes dont la mission répond au paradigme « d’offrir du poisson » ne cessent d’augmenter.
En début de réflexion, je vous partageais que mon expérience de vie m’a appris que toute aide offerte n’est pas nécessairement bonne et appropriée. J’espère que vous aurez compris que cela dépend seulement de la cohérence entre votre intention et le paradigme correspondant à votre don.
Il est nécessaire de soutenir les missions qui offrent une réponse essentielle aux besoins issus d’un épisode de vie ponctuel d’une personne. Toutefois, il faut nous assurer également que cet épisode ne se transforme pas en un mode de vie confirmé pour la personne. Sans quoi, nous finirons toujours par manquer d’espace dans nos entrepôts, nos congélateurs, nos dortoirs.
Merci!
Par mon engagement professionnel, depuis plus de 15 ans, je suis un témoin privilégié de la grande générosité et solidarité qui composent notre société.
Merci à tous ceux et celles qui contribuent par le don de leur expertise, de leur écoute, de leur affection ainsi que du partage de leurs économies financières à supporter tous les organismes dont la mission vise à contribuer à l’épanouissement et au mieux-être de notre collectivité plus vulnérable.